Tempête Ciarán : Cas de force majeure ?
La tempête Ciarán qui a secoué nos régions le jeudi 2 novembre dernier n’a pas épargné notre réseau ferroviaire. Malgré les mesures anticipatives prises par la SNCB pour garantir une certaine fluidité des circulations, très rares étaient les trains roulant encore en fin d’après-midi. Bloqués parmi tant d’autres voyageurs à Bruxelles-Midi, nous avons cherché à comprendre ce qui se passait vraiment.
Dès la mi-journée, l’Institut royal météorologique (IRM) annonçait que Ciarán était reconnue comme « tempête officielle » en Belgique, le 9 beaufort ayant été mesuré en Mer du Nord. Elle a fait deux morts chez nous, dont un enfant de cinq ans, et plusieurs autres ailleurs en Europe. Trafic maritime interrompu, événements annulés, parcs fermés… nombreuses étaient les conséquences de ces fortes intempéries qui, sans être banales, n’ont pourtant battu aucun record.
Dès la veille, la SNCB avait averti des mesures qu’elle mettait en place pour garantir la sécurité de tous les voyageurs. Avec, principalement, une réduction de la vitesse maximale des trains à 80 km/h (et 160 km/h sur les lignes à grande vitesse), la suspension des liaisons transfrontalières locales vers la France et de la desserte des gares de la bande côtière, et la suppression de la plupart des trains P. Des mesures somme toute logiques…
Cela avait déjà bien soufflé pendant la nuit. Sur le chemin de la gare, on apprenait à la radio que les équipes d’Infrabel étaient déjà à pied d’œuvre en divers endroits pour retirer des obstacles tombés sur les voies, dont un trampoline mal sécurisé par son propriétaire du côté de Piéton. Sur les grandes lignes, les petits retards commençaient à s’accumuler du fait des réductions de vitesse. Tout ceci alors que la tempête ne faisait que gagner en intensité. Mais dans l’ensemble, cela ne roulait plutôt pas trop mal.
Après une journée de travail bien remplie, retour à Bruxelles-Midi. Dans le métro à Porte de Hal, on checke vite l’app de la SNCB, et on comprend assez vite que le retour sera un peu plus difficile que prévu. Dans la grande gare, pourtant, c’est la cata… Des voyageurs éberlués par centaines, des écrans oranges expliquant que la circulation est « perturbée » (même pas « fortement perturbée »), des annonces vocales à n’en plus finir… Et sur le grand tableau des départs, seulement cinq ou six trains prévus entre 17h et minuit. Mince, que s’est-il passé ?
Des arbres dans les voies…
Rien vers Charleroi, rien vers La Louvière, rien vers Mons, peut-être un départ vers Namur.
On revient sur l’app, où la liste des trains n’a rien à voir avec ce qu’affichent les écrans en gare. L’espoir revient un peu, mais c’est avant de lire les alertes prévenant d’arbres tombés dans les voies à Holleken, à Court-Saint-Etienne, entre Alost et Denderleeuw, entre Opwijk et Termonde, entre Waregem et Harelbeke, et encore ailleurs sans doute.
Durée des dérangements indéterminée.
Comment rentrer à Marchienne-au-Pont, où on a laissé la voiture le matin ? Et puis, devra-t-on acheter
un autre titre de transport si par miracle on peut voyager via Namur, La Louvière ou Mons ?
Dans le hall de gare, des sous-chefs de la SNCB se sont postés en plusieurs endroits et encaissent un flot ininterrompu de questions angoissées en plusieurs langues. Non, nous ne pouvons pas vous dire quand partira le prochain train vers Ottignies… I’m sorry, sir. There’s nothing we can do… La réponse suivante était intéressante : cela ne sert à rien de regarder l’app, jeune homme, les seules bonnes informations sont sur les écrans en gare et via les annonces vocales…
On apprend enfin que la décision d’autoriser le voyage via une autre ligne dépend du chef de bord du train qu’on prendra… Et on s’étonne toujours que, dans ce moment paniqué pour beaucoup, la SNCB ne fasse pas preuve de davantage de souplesse et laisse à nouveau les accompagnateurs de train seuls face à l’énervement généralisé des voyageurs…
Tentative auprès d’un autre sous-chef. On fait comment pour aller à Marchienne-au-Pont ? Ah, Monsieur, il n’y a aucun départ vers Charleroi avec l’arbre tombé à Holleken. Il y a des bus de remplacement vers Nivelles derrière la gare. Ils stationnent un peu plus loin que les Flibco.
On se dit qu’arriver à Nivelles serait déjà pas mal et qu’on va tenter le coup avec ces bus de substitution. Sauf que sur le trottoir en question, un chauffeur BlaBlaCar s’énerve sur les voyageurs SNCB qui veulent à tout prix monter dans son bus. Je vais à Charleroi Airport. Vous devez payer votre ticket. Je ne suis pas la SNCB, moi… Et plus loin sur le trottoir, presque comme une évidence : aucun bus SNCB de remplacement.
Retour dans le hall de gare. Déjà plus d’une heure sans solution. Des accompagnateurs inquiets attendent un train vers Jemelle et ignorent s’ils pourront revenir vers Bruxelles après. Pendus au téléphone, nombreux sont les voyageurs cherchant à convaincre un proche de venir les chercher en voiture. Débarqués d’un Thalys, des touristes devant poursuivre leur voyage viennent grossir les rangs de la foule agacée… L’information en temps de crise à la SNCB reste décidément un gros point noir.
Mais au-delà de l’information, la question est bien : où sont passés tous les trains ?
Un cas de force majeure ?
Il a fallu presque quatre heures pour arriver à Marchienne-au-Pont. Un train vers Mons est apparu et, à Mons, un autre vers Charleroi. Les rares convois sur les rails semblaient rouler un peu par hasard…
Comme c’est le boxon partout, a dit l’accompagnatrice, montez ! On a papoté ensemble. Fatiguée, elle aussi ne cherchait qu’à rentrer chez elle. Une soirée à oublier
Le voyageur peut-il prétendre à un remboursement dans ce genre de circonstances ?
La réponse est oui, à condition que le retard sur le trajet en train soit d’au moins une heure. Une décision de la Cour Européenne de Justice en 2013 impose en effet que les opérateurs ferroviaires offrent une compensation aux voyageurs même en cas de force majeure. Depuis le 7 juin de cette année, les conditions de remboursement ont même été élargies. Cette disposition importante épargne aux voyageurs l’énervement d’un conflit concernant la définition de la force majeure.
La section 11.3 des Conditions générales de la SNCB, qui lie les voyageurs à cette dernière, prévoit au paragraphe 6 les situations où aucune compensation n’est accordée. Parmi celles-ci, on apprend qu’aucun remboursement n’interviendra « pour les retards de moins de 60 minutes dus à des cas de force majeure ». En d’autres mots, si vous deviez prendre un train de Bruxelles-Midi à Tubize le soir du 2 novembre, et que vous êtes arrivés à destination avec 45 minutes de retard sur l’horaire prévu, vous n’aurez droit à aucune compensation.
La procédure de demande de remboursement reste fastidieuse et impose pratiquement que vous ayez créé un compte MySNCB. Navetteurs.be milite depuis de longues années pour une simplification de cette procédure, a fortiori pour les navetteurs effectuant le même trajet au moins plusieurs fois par mois, qui sont au final des « bons clients » de la SNCB. Des bons clients jamais récompensés…
Nous ne pouvons qu’encourager les voyageurs bloqués par la tempête Ciarán à réclamer leur dû.
La gestion des incidents, un sujet qui fâche
Il nous reste à savoir, pour la petite histoire, où étaient passés ces trains qui ne sont jamais arrivés à Bruxelles-Midi le 2 novembre.
Pour réaliser un parcours entre deux gares, en simplifiant, il faut bien entendu un train, un conducteur, un accompagnateur et l’autorisation de circulation sur une ligne donnée à un moment donné. Nos chemins de fer fonctionnant à flux tendu, un accompagnateur enchaîne régulièrement des prestationsdifférentes sur sa journée de travail. Ainsi, après un aller-retour entre Charleroi et Anvers, il peut effectuer un aller-retour entre Charleroi et Jambes, Wavre, Couvin ou Maubeuge.
Au fur et à mesure que s’accumulaient les incidents dus à la tempête Ciarán, c’est tout le planning qui s’est déréglé. Pour de nombreux trains, il n’y avait soit pas de conducteur, soit pas d’accompagnateur, voire aucun des deux, ceux-ci étant bloqués dans d’autres trains dont ils assuraient le service plus tôt dans la journée. A Bruxelles-Nord comme à Bruxelles-Midi, les voies à quai étaient encombrées de trains hors tension, sans personnel de bord pour prendre le relais, les mener ailleurs et libérer le passage…
Etant donné le manque de personnel à la SNCB, on ne trouve plus non plus de conducteurs ou d’accompagnateurs de réserve, prêts à assurer la relève en cas de défection. Et en raison du désinvestissement chronique dans les chemins de fer ces vingt dernières années, Infrabel a dû rationnaliser à outrance le réseau ferré en retirant de nombreux aiguillages et voies de garage, qui permettaient justement de fluidifier le trafic.
Ces explications, qui sont les justifications de la SNCB, les voyageurs n’en ont évidemment cure. Si la plupart d’entre nous tolèrerons toujours le couac occasionnel dans nos trajets, c’est la répétition des incidents qui nous parait insupportable et, avec elle, la lenteur avec laquelle ils sont résolus. Devoir dépêcher une machine de secours venue de l’autre bout du pays pour remorquer un train tombé en détresse en pleine voie restera incompréhensible !
Plus que jamais, nous réclamons une meilleure gestion des incidents, comme l’était la tempête Ciarán au vu de son très lourd impact sur nos parcours ce soir-là, vers Marchienne-au-Pont et partout ailleurs…