Les laissés pour compte du nouveau plan de transport

Ce 10 décembre entre en vigueur le premier volet du nouveau plan de transport de la SNCB. Dans sa communication aux voyageurs, la Société Nationale met en avant le renforcement des parcours sur plusieurs lignes. Si les statistiques actuelles de suppressions de trains invitent au scepticisme, les nouveaux horaires pénaliseront parfois lourdement des centaines de navetteurs. Voici un tour d’horizon non exhaustif.

Le plan de transport 2023-2026 de la SNCB est le premier à s’inscrire dans la Vision Rail 2040 adoptée par le gouvernement lors de cette législature. L’ambition d’attirer plus de voyageurs sur le rail passe logiquement par l’instauration d’un meilleur niveau de service, particulièrement autour des grands centres urbains et entre ceux-ci. Cela ne se fera évidemment pas du jour au lendemain, surtout dans le contexte actuel de pénurie de personnel.

Les nouveaux horaires de train, effectifs à partir du 10 décembre, proposent néanmoins quelques premières avancées intéressantes. Au sud du pays, celles-ci concernent principalement la région liégeoise et l’axe reliant Charleroi à Ottignies. Concrètement, il s’agit :

  • Du renforcement des cadences entre Liège et Verviers-Central, avec désormais deux trains S41 par heure dans chaque sens en semaine et le week-end ;
  • Du renforcement des cadences entre Liège et Visé, avec désormais deux trains S par heure (S43 et S44) dans chaque sens en semaine uniquement ;
  • Du renforcement des cadences entre Liège et Flémalle-Haute, avec désormais deux trains S42 par heure dans chaque sens en semaine uniquement ;
  • De la création d’une nouvelle ligne IC entre Charleroi-Central et Leuven (Louvain), avec arrêts intermédiaires à Fleurus, Court-Saint-Etienne, Ottignies, Wavre et Heverlee, circulant en semaine et le week-end et permettant un gain de temps appréciable entre Charleroi et Ottignies et une meilleure connexion de la gare de Fleurus (et des bus TEC vers l’aéroport de Charleroi) au reste du réseau SNCB ;
  • Du renforcement de l’offre locale entre Wavre, Ottignies, Charleroi et Namur le week-end, avec désormais un train S61 par heure (au lieu d’un toutes les deux heures) ; et enfin
  • De l’amélioration des temps de parcours des IC Mouscron-Mons-Charleroi-Namur-Liège-Liers le week-end grâce à la suppression d’arrêts intermédiaires.

Nous espérons très sincèrement que ces améliorations contribueront à attirer de nouveaux voyageurs sur nos chemins de fer. Sur tous ses canaux, la SNCB met ces avancées bien en évidence tout en passant presque sous silence les points négatifs – et il y en a ! – du nouveau Plan de Transport. Tout au plus est-il question de la suppression de quelques trains d’heure de pointe (trains P), dont on voudrait nous faire croire qu’ils sont très peu fréquentés (et donc sacrifiables) ou font presque doublon avec des trains réguliers existants.

Regardons ceci de plus près… en ajoutant que nous avons déjà à l’oreille les arguments qu’avancera la SNCB pour minimiser la portée de ce qui suit.

Dolhain-Gileppe

Situé entre les gares de Verviers-Central et de Welkenraedt sur la ligne 37 reliant Liège à la frontière allemande, le point d’arrêt de Dolhain-Gileppe est de nos jours principalement desservi par des trains L circulant entre Aix-la-Chapelle et Spa. Les navetteurs du coin se rendant à Liège ou Bruxelles descendent donc à Verviers-Central où, après seulement 5 minutes, ils ont une correspondance avec un train IC de la relation Eupen-Ostende qui s’arrête ensuite à Liège-Guillemins et continue vers les trois gares de la Jonction Nord-Midi. Durée totale du voyage actuel entre Dolhain-Gileppe et Bruxelles-Central : 1h30.

Or, à partir de ce 10 décembre, la liaison locale actuelle entre Aix et Spa est scindée afin de permettre le renforcement des cadences entre Liège et Verviers-Central (voir 1ère pastille plus haut). De ce fait, les voyageurs de Dolhain-Gileppe devront emprunter le train S41 qui partira désormais d’Aix (au lieu de Verviers-Central) à estination de Liège. Plus de correspondance à Verviers donc… mais un temps d’attente conséquent (22 minutes) à Liège-Guillemins… Durée totale du voyage entre Dolhain-Gileppe et Bruxelles-Central à partir du 10 décembre : 1h56.

Il en va de même pour le trajet retour entre Bruxelles-Central et Dolhain-Gileppe: 2h01 à partir du 10 décembre contre 1h36 actuellement.

Le temps du voyage aller-retour sera donc allongé de 51 minutes, ce qui n’est pas rien dans la journée de la navetteuse ou du navetteur. Combien d’automobilistes seraient ravis de savoir leurs trajets quotidiens bientôt allongés d’une heure ?

Une pétition a été lancée en septembre déjà par un usager de Dolhain-Gileppe. Nous l’avons signée et nous la relayons encore ici.

Précisons encore que l’app SNCB – un sujet d’agacement sans fin – propose aux voyageurs de Dolhain-Gileppe d’effectuer tous leurs voyages vers Bruxelles avec un rebroussement à Welkenraedt !
Avec, du coup, une alerte expliquant bien que dans ce cas, un deuxième titre de transport est requis pour le trajet entre Dolhain-Gileppe et Welkenraedt… Comble du ridicule : le gain de temps avec rebroussement, et ce billet supplémentaire qu’il faut acheter, est de… deux minutes !

Roux et Courcelles-Motte

Le 11 décembre, qui sera le premier lundi du nouveau Plan de Transport, les navetteurs de Roux et Courcelles-Motte, dans la banlieue nord de Charleroi, découvriront que six de leurs trains quotidiens ont été supprimés. Situés sur la ligne 124 (Charleroi-Bruxelles), ces points d’arrêt sont actuellement desservis chaque heure en semaine par les trains S19 (Charleroi-Central – Brussels Airport Zaventem), avec un renfort de trains P le matin et le soir.

Il y a actuellement huit trains P à l’horaire, deux le matin (P 7793 et P 7795) et deux le soir (P 8793 et P 8795) entre Charleroi-Central et Luttre, puis deux le matin (P 7792 et P 7794) et deux le soir (P 8792 et P 8794) entre Luttre et Charleroi-Central. Parmi ces trains, seuls le P 7794 (Luttre 7h28 – Charleroi-Central 7h49) et le P 7795 (Charleroi-Central 6h59 – Luttre 7h20) sont maintenus ; les autres, dont tous ceux en soirée, disparaissent purement et simplement. Avec le retrait du train P 7792, il n’y aura même plus aucun départ vers Charleroi-Central avant 7h00 !

L’horaire de ces trains P était pourtant idéal puisqu’il permettait aux travailleurs et étudiants de Roux et Courcelles-Motte d’avoir un train toutes les demi-heures en heure de pointe. La raison de ces suppressions est donc ailleurs, sans doute un nombre jugé insuffisant de voyageurs quotidiens… Les usagers qui prenaient ces trains auront-ils un jour une explication, voire un mot d’excuses ?

Or, les alternatives qui se présenteront à eux le 11 décembre ne sont pas nombreuses. Soit les voyageurs attendront une demi-heure le passage du train S19 suivant, soit ils devront se rabattre sur la ligne 41 du TEC aux temps de parcours plus longs et nécessitant l’achat d’un autre titre de transport…

Quévy et Frameries

Pire encore est la suppression du train P 7880, qui relie Quévy (6h51) à Mons (7h09) avec arrêts intermédiaires à Genly et Frameries. On le sait, les usagers de la ligne 96 (Bruxelles-Midi – Quévy) sont à bout de nerfs depuis de très longs mois. Retards et suppressions sont légion, surtout en bout de ligne. Elle a d’ailleurs été désignée pire ligne SNCB de Belgique par l’émission On n’est pas des pigeons ! de la RTBF en mars dernier.

Ce train P 7880, lorsqu’il circule, est emprunté par une grosse cinquantaine de navetteurs, dont beaucoup poursuivent leur trajet vers la capitale après une correspondance à Mons. D’après les usagers animant notre Groupe de travail 96/97, cette suppression serait la dernière preuve que la SNCB entend supprimer à brève échéance la desserte locale entre Mons et Quévy et réserver la ligne aux nouveaux trains internationaux « lents » entre Bruxelles et Paris-Nord et aux trains de marchandises.

Nombre de ces usagers nous disent, avec énormément d’amertume, qu’ils prendront désormais la voiture le matin entre pour se rendre à la gare de Mons, où ils embarqueront directement dans leur train vers Bruxelles… Les autres, ceux qui n’ont pas de voiture ou de solution de covoiturage, se rabattront peut-être vers les trains de 6h20 ou 7h12… quand ils roulent.

Ces suppressions de trains P soulèvent une question fondamentale. Si une des ambitions du nouveau Plan de Transport est d’attirer de nouveaux voyageurs, est-ce que cela doit se faire au détriment de centaines d’usagers fidèles ?

SNCB et Proximus : mêmes pratiques ?

La nouvelle liaison IC Charleroi-Central – Louvain (voir quatrième pastille plus haut)) interroge. Elle profitera certainement aux nombreux étudiants qui effectuent le trajet entre le bassin carolo et le campus de l’UCL, en proposant un temps de parcours raccourci d’environ 15 minutes. Avec cet IC et les trains S61, le nombre de départs vers Ottignies sera doublé du lundi au vendredi… Avec la meilleure fréquence des S61 le week-end, les voyageurs de Court-Saint-Etienne verront même leur offre de trains… quadruplée dès le 10 décembre !

Mais la question est bien de savoir si cette nouvelle liaison attirera de nouveaux voyageurs. De nouveaux clients de la SNCB ayant abandonné la voiture pour prendre le train ? Nous ne connaitrons sans doute jamais la réponse, mais nous pouvons légitimement supposer que ces nouveaux usagers ne dépasseront pas en nombre ceux désormais privés de leurs trains P, du moins dans les premiers mois.

La SNCB remplit une mission de service public, mais use dans sa situation de monopole d’un certain cynisme faisant penser aux pratiques des géants du commerce mondial. On pourrait oser une comparaison avec Proximus, désormais lointaine héritière de la RTT… où l’on peut rester abonné vingt ans sans jamais se voir récompensé, alors qu’un grand tapis rouge est déroulé sous les pieds des nouveaux clients.

Il reste plus qu’à espérer que les deuxième (décembre 2024) et troisième (décembre 2025) volets du nouveau Plan de Transport ne s’accompagneront d’aucune nouvelle suppression… Et donc, bien sûr, pour faire écho aux justifications de la SNCB, qu’elle parvienne à recruter davantage de personnel qu’elle n’en perd, que le calendrier de livraison des nouvelles voitures M7 soit plus que respecté, que la météo soit clémente, que les tiers cessent de foutre le bordel sur les lignes et – cadeau sous le sapin – que des milliers de nouveaux voyageurs soient convaincus par le niveau de service actuellement proposé !