Le prix d’un pipi en gare

Depuis quelques semaines, la gérance des toilettes dans plusieurs grandes gares a été reprise par 2theloo, une société néerlandaise déjà présente dans d’autres pays européens. Avec – et c’était l’aspect marquant de l’annonce officielle dans les médias en avril – un tarif d’accès porté à 1 EUR, un prix jugé excessif par de très nombreux voyageurs…

Alors, qu’en est-il vraiment ? Nous avons testé ces toilettes « nouvelle gérance » dans les gares de Bruxelles-Nord, Bruxelles-Central, Namur, Charleroi-Central et Liège-Guillemins. Ce prix de 1 EUR trouve-t-il une quelconque justification ? L’état des sanitaires s’est-il amélioré dans les gares concernées ?

Le manque de toilettes publiques dans notre pays est régulièrement pointé du doigt, notamment par les associations travaillant auprès des sans-abris et des migrants, et participe au constat d’insalubrité dans les
endroits où se concentre ce public précarisé. Pour rendre les abords de Bruxelles-Midi moins nauséabonds sans simplement déplacer le problème, il faudra indéniablement tenir compte de cet aspect.

Les grandes gares sont d’importants lieux de passage en ne comptabilisant que celles et ceux qui y passent chaque jour pour se rendre à l’école ou sur leur lien de travail et en revenir. On y reste parfois plus longtemps que prévu, par exemple lorsque le train est supprimé et
qu’il faut attendre le suivant. Les toilettes ne sont pas un luxe ; elles répondent à un besoin humain fondamental. Si elles ne sont pas le core business de la SNCB, celle-ci ne peut nier le rôle qu’elles jouent dans
le confort des voyageurs – aussi bien dans le train qu’en gare.

Or, en proportion, un nombre assez faible de gares et de points d’arrêt disposent de sanitaires accessibles aux voyageurs. Ils sont parfois gratuits et assez bien entretenus, comme à Verviers-Central, Luttre ou Ecaussinnes. Ailleurs, par exemple à Braine-le-Comte ou Libramont, on y accède en glissant une pièce de 50 centimes dans la fente située à côté de la clenche de la porte d’entrée. Dans les grandes gares, jusqu’à l’arrivée de 2theloo, on trouvait souvent des installations vieillies, peu accueillantes (et c’est un euphémisme), payantes à concurrence de 50 centimes ou un peu plus, à déposer dans l’assiette d’une Madame Pipi parfois dépassée par les événements.

Avec un euro réclamé dans ces grandes gares, 2theloo double le prix de ce pipi. Est-ce justifié ?

La réponse n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le penser.

Du côté du positif, les installations mises à disposition, des urinoirs aux toilettes aux éviers, sont globalement beaucoup plus agréables. De nouveaux équipements ont été ajoutés, entre autres des diffuseurs de parfum boostant à coup sûr l’expérience olfactive. D’anciens équipements ont été réparés, nettoyés, désinfectés, rafraîchis, ou remplacés par du neuf. Un·e ou plusieurs préposé·e·s s’emploient activement à veiller à l’hygiène et la propreté.

Le tourniquet barrant l’entrée et le prix demandé découragent clairement un certain public d’utiliser les toilettes à des fins autres que celle d’assouvir un besoin naturel pressant, ce qui devrait rassurer les voyageurs n’osant plus les utiliser depuis longtemps. De plus, le voucher distribué contre paiement à l’entrée donne droit à une réduction sur un achat dans un autre commerce de la gare.

Dans la colonne du négatif, commençons par le prix lui-même bien entendu. Un euro, ce n’est pas rien, surtout pour les petites bourses et a fortiori si le passage au petit coin est appelé à se répéter (voyageurs indisposés ou souffrant d’une maladie, navetteurs au long cours avec correspondances, déplacements en famille etc.). Et ce d’autant que les conditions entourant la réduction compensatoire via le voucher sont très restrictives. En effet, la ristourne ne porte que sur une gamme très limitée de produits dans un nombre très limité de commerces avoisinant, presque uniquement Panos ou Relay d’ailleurs.

A Namur, par exemple, à la mi-août, le pipi chez 2theloo ne donnait droit qu’à 50 centimes de réduction sur une GRANDE boisson CHAUDE chez
Panos. Pas question de la faire valoir sur une bouteille d’eau, un croissant ou un panini. Ces conditions de ristourne ne sont affichées nulle part, pas même sur le voucher. Dans les premières semaines, les employé·e·s de Panos à Bruxelles-Nord et Bruxelles-Central ignoraient même tout de
l’existence d’une telle réduction. Celle-ci peut également valoir sur un produit dans la « boutique » 2theloo, lorsque celle-ci est présente. A Bruxelles-Nord, par exemple, on trouve près de la préposée une vitrine assez anonyme dans laquelle sont posés des flacons, probablement de savon ou d’autres produits de soin, dont la qualité est inconnue et le
prix pas affiché…

Notons au passage qu’à Bruxelles-Midi, les sanitaires sont gérés par un autre concessionnaire, National Hygiene Group, pratiquant le même prix d’1 EUR mais sans proposer la moindre réduction à faire valoir dans un commerce de la gare…

Le bilan initial de la gestion des toilettes en gares par 2theloo est donc fort mitigé. Lorsqu’elle peut exploiter de toutes nouvelles installations, comme à Namur et prochainement à Charleroi-Central, l’amélioration de l’expérience de l’usager justifie presque l’augmentation du prix. C’est également le cas à Liège-Guillemins, où les installations ouvertes il y a une quinzaine d’années restent assez modernes. C’est en revanche nettement moins évident à Bruxelles-Nord et Bruxelles-Central, où les sanitaires même rafraichis occupent toujours de vieux espaces assez sombres.

Dans chacune de ces gares, le passage fréquent d’usagers aux besoins pressants exigera que 2theloo mette le paquet, sans mauvais jeu de mot, en matière d’entretiens fréquents, voire de réparations. Certains équipements qui avaient été remis en service après de longs mois d’abandon (deux urinoirs à Bruxelles-Nord, par exemple) sont de nouveau HS. A Charleroi-Central, l’imprimante à vouchers ne fonctionne plus depuis un mois, l’évier dans les toilettes hommes est condamné et les employées sont excédées par la lenteur et l’inefficacité des visites des techniciens.

Et puis, il faudra que 2theloo revoie sa copie en ce qui concerne les réductions accordées grâce au voucher. A l’heure actuelle, rien (ou vraiment très peu) ne donne envie au voyageur d’obtenir la compensation promise. Mais, dans le monde cynique dans lequel nous vivons, c’est peut-être exactement l’effet recherché…

Bref, quelques mois après l’annonce de la reprise, on se demande vraiment si 2theloo est à la hauteur de la tâche.