Nous vous expliquons ici les enjeux de l’initiative en cours de refonte du réseau du TEC sur l’ensemble du territoire wallon. Dans la zone Gembloux-Basse-Sambre, où le nouveau maillage est déjà effectif, de nombreux usagers n’y trouvent pas leur compte et font entendre leur voix. Nous recommandons aux voyageurs du TEC partout en Wallonie de se tenir informés de ce qui pourrait changer pour eux dans les mois et années à venir.
L’administration wallonne a lancé il y a quatre ans un vaste processus participatif visant à redessiner l’offre globale de transport public sur l’ensemble du territoire. Les Organes de Consultation des Bassins de Mobilité (OCBM) établis par le Service Public de Wallonie (SPW) rassemblent, entre autres, les autorités de tutelle en matière de mobilité, des représentant·e·s des communes concernées et – à titre d’invités – des représentant·e·s des usagers.
Il y a six OCBM correspondant grosso modo aux territoires d’exploitation des « anciens TEC » : Brabant wallon, Charleroi, Hainaut, Liège-Verviers, Luxembourg et Namur. La méthode de travail au sein de chaque OCBM comprend un niveau tactique et un niveau opérationnel. Un diagnostic de l’offre TEC existante est posé et analysé, en la confrontant notamment aux flux de mobile data fournis par un opérateur de mobilophonie.
Le travail dans les OCBM est également subdivisé en sous-zones géographiques qui sont examinées consécutivement et non simultanément. Ainsi, dans l’OCBM Charleroi, les travaux concernant la zone nord-ouest (couvrant notamment Courcelles et Chapelle-lez-Herlaimont) et le plateau nord (avec Fleurus, Les Bons Villers et Pont-à-Celles) devraient aboutir à une mise en œuvre opérationnelle en 2024 alors que les travaux concernant la zone Chimay-Beaumont-Thuin-Erquelinnes n’auront pas encore été entamés.
La refonte du réseau prévoit la suppression de toutes les lignes de bus existantes et leur remplacement par de nouvelles lignes aux parcours parfois identiques. En principe, les lignes ferroviaires demeurent l’élément le plus structurant des transports en commun intercommunaux et les lignes du TEC, principalement les nouvelles lignes express, doivent permettre de rabattre les voyageurs vers le train.
On le devine : il s’agit d’un processus complexe et laborieux dont la dernière étape est l’examen de la desserte fine des zones d’habitat. Lorsque l’OCBM s’est accordé sur le tracé d’une ligne entre deux localités et sur la cadence de service, il reste à définir le nombre d’arrêts et leur emplacement exact. Cette dernière étape est celle qui impactera le plus directement les usagers ayant leurs habitudes de transport depuis de nombreuses années.
Vent de révolte à Sombreffe
Le redéploiement du réseau TEC dans la zone Gembloux-Basse-Sambre, étudié par l’OCBM Namur, s’est concrétisé le 1er août 2023 par la suppression de nombreuses lignes existantes (23, 147a, 247a, 347a…) et l’introduction de nouvelles lignes aux tracés et horaires parfois sensiblement différents. La mise en œuvre, à moins d’un mois de la rentrée scolaire, a plongé dans le désarroi de nombreuses familles. Des enfants à qui il ne fallait en juin qu’une vingtaine de minutes pour arriver aux grilles de l’école mettent désormais parfois le triple du temps, avec de surcroit un changement de bus. D’autres usagers ont constaté qu’ils devaient dorénavant emprunter la nouvelle ligne express E83 dont le tarif est largement supérieur à celui des lignes TEC régulières.
Des pétitions ont été lancées. L’une d’entre elles, ayant récolté près de 1200 signatures, rappelle que la commune de Sombreffe s’étale dans une « zone rurale rassemblant des villages aux besoins diversifiés » dont « certains habitants dépendent de l’offre de transports publics pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires (alimentation, soins, travail et suivi de scolarité) ». Les auteurs appellent à « la révision profonde » du nouveau plan de transport, à laquelle ils ajoutent une série de revendications spécifiques et des propositions concrètes.
Ces revendications sont tout à fait légitimes, et l’Autorité Organisatrice du Transport (AOT), qui chapeaute le TEC, pouvait deviner qu’elles donneraient lieu à une mobilisation citoyenne. En effet, dès février 2022, soit un an et demi avant la mise en œuvre du redéploiement dans la zone, le Ministre Henry était interpellé au travers d’une question parlementaire écrite au sujet des « vifs émois dans les villages » que suscitait le projet de redéploiement. Le Ministre a répondu qu’il ne s’agissait que d’un projet servant de « base de discussion avec les citoyens et les pouvoirs locaux » et que ceux-ci auraient d’autres occasions de faire valoir leurs griefs via les mécanismes de concertation prévus.
Or, ce qui ne devait pas arriver est tout de même arrivé. Et il faut en comprendre les raisons, d’autant que sans correctif, la situation est appelée à se reproduire au fur et à mesure du redéploiement ailleurs en Wallonie. La commune de Sombreffe a décidé de porter l’affaire en justice.
La communication envers les usagers, un problème structurel
Lors d’une récente réunion d’OCBM à laquelle nous assistions, les responsables de l’AOT reconnaissaient que leur stratégie de communication aux usagers n’avait pas été optimale. Celle-ci reposait, très en amont, sur un partage assez détaillé du projet de nouvelle offre via la plateforme d’engagement citoyen Mobilli et, dans les semaines ayant précédé sa mise en œuvre – c’est-à-dire lorsqu’il était essentiellement trop tard pour encore modifier le projet – sur des alertes sur le site et l’app du TEC, dans la presse locale et sur les réseaux sociaux.
Seulement voilà, très rares sont les usagers s’étant inscrits sur Mobilli. Celles et ceux qui s’y sont aventurés penseront peut-être comme nous qu’elle manque de clarté, de pédagogie et surtout de transparence. Quelles garanties ai-je en tant qu’usager du TEC que mon avis sera bien pris en compte, a fortiori si je suis le seul à m’inquiéter de la modification d’un parcours unique ou de la suppression d’un arrêt particulier ?
Cette situation illustre en réalité un problème structurel commun à toutes les sociétés de transport public : l’impossibilité d’avertir personnellement chaque usager des modifications importantes à venir. On le voit à Sombreffe, où même les parents d’écoliers disposant d’un abonnement sont tombés des nues en découvrant ce qui changeait au 1er août. Et ce alors que les abonnés sont invariablement les voyageurs les mieux informés, à l’inverse des personnes n’empruntant le bus que de temps à autre.
L’AOT, nous n’en doutons pas, planche déjà sur une solution.
Notre association en ligne de mire ?
On l’a dit plus haut : des représentant·e·s des usagers sont invité·e·s aux réunions des OCBM et connaissent donc les projets de l’AOT. Trois associations, dont la nôtre, sont parties prenantes en vertu d’un arrêté du Gouvernement Wallon de 2021. Les deux autres sont le CAWaB, un collectif d’associations défendant l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite en Wallonie et à Bruxelles, et Tous à Pied, qui se présente comme « la voix des piétons » sur le même territoire. Or, paradoxalement, notre association est de loin la plus petite des trois. Notre budget annuel est jusqu’à 15 fois inférieur aux leurs et nous ne pouvons compter que sur trois bénévoles pour notre action quotidienne.
C’est dire toute la difficulté que représente pour nous la mission de porter la voix des usagers du TEC dans ces Organes. Nous devons prendre congé (quand nous le pouvons) pour assister aux réunions et nous ignorons le plus souvent tout des lignes de bus du périmètre concerné, des quartiers et des villages qu’elles desservent, et de la réalité quotidienne des voyageurs qui les empruntent.
Mais reconnaissons-le, le cafouillage du redéploiement dans la zone Gembloux-Basse-Sambre nous place dans une situation inconfortable. Ainsi, lorsque le ministre Philippe Henry est parti à la rencontre des « mécontents » de Sombreffe et des communes avoisinantes le 20 septembre dernier, il leur a expliqué que les usagers avaient été associés aux travaux de refonte de l’offre, tout en promettant la mise en œuvre de mesures correctives.
En participant aux OCBM, nous prenons donc le risque de voir notre crédibilité écornée, ainsi que le crédit dont nous bénéficions auprès de la population grâce à notre action en faveur des voyageurs des… chemins de fer. Ce risque, nous l’assumons car la politique de la chaise vide, ce n’a jamais été pour nous.
Les mauvaises bases du redéploiement
Le dimanche 1er octobre, le TEC apportait plusieurs ajustements à son offre dans la région Gembloux-Basse-Sambre, consistant en l’ajout d’arrêts sur plusieurs lignes. Ce correctif représentera-t-il une vraie solution à long terme pour les usagers du coin, et notamment pour les élèves et étudiants dont les parcours se trouvaient considérablement allongés ? Nous attendons les retours, mais quels qu’ils soient, ils ne nous enlèveront pas nos doutes quant à certains principes et à la méthode du redéploiement.
Tout d’abord, l’utilisation des flux de mobile data dans la phase tactique laisse penser que l’AOT cherche prioritairement à capter de nouveaux usagers. C’est de bonne guerre et même tout à fait nécessaire. Mais pas lorsque cela s’opère aussi nettement au détriment des usagers existants, comme c’est bien le cas à Sombreffe. Dans les médias, nous avons parlé d’une forme de violence à l’égard de clients habitués du TEC qui, du jour au lendemain, se trouvent privés de leur seul moyen de transport. Ces usagers ne sont-ils pas justement ceux qui ont porté le TEC à leur façon ces dernières années ? Leur seul tort serait-il maintenant d’habiter en milieu rural ?
Nous ne sommes pas tout à fait convaincus non plus de la volonté de l’AOT de rabattre le plus grand nombre de voyageurs vers les gares et les trains SNCB, ou alors… seulement au prix de correspondances préalables avec un autre bus TEC, express celui-là, au tarif plus élevé ? La multiplication des trajets impliquant une correspondance entre bus TEC, même pour des trajets relativement courts, pose question. Surtout lorsqu’on sait que les voyageurs évitent tant que possible les ruptures de charge sur leur parcours.
Et puis, le découpage du réseau géographique en bassins et en sous-bassins examinés à tour de rôle, et non simultanément, fait que l’AOT pose actuellement des diagnostics partiels de l’efficacité de lignes existantes reliant un sous-bassin en cours d’examen à un autre qui ne l’est pas encore. Le risque étant ici que des modifications de desserte de la ligne dans la zone étudiée impactent la desserte de la même ligne dans une zone limitrophe où le diagnostic n’a pas encore été établi.
Enfin, et c’est peut-être le pire en ce qui nous concerne, il nous a été confirmé lors de réunions d’OCBM qu’il n’existait aucun mécanisme automatique d’ajustement des horaires de bus lorsque les horaires des trains changent. Nous l’avions déjà supposé lorsque la SNCB a mis sur rail la nouvelle liaison Charleroi-Maubeuge sur la ligne 130a avec un tout nouvel horaire décalant les départs d’une demi-heure : aucun ajustement de l’horaire de la ligne 91 du TEC en gare du Lobbes n’était possible selon l’AOT, les correspondances de la ligne s’effectuant prioritairement avec le métro… TEC à Anderlues-Monument.
Nous ne remettons pas en cause l’ambition de proposer un nouveau réseau TEC à hauteur des enjeux de mobilité actuels, ni l’énorme travail abattu par les services compétents de l’administration wallonne. Il nous semble en revanche impératif que celle-ci intègre à sa réflexion une dimension qualitative permettant de mieux cerner les déterminants des choix de mobilité posés par les citoyens et de les impliquer davantage dans la conception des nouvelles offres de transport.
Usagers du TEC, mobilisez-vous !
Nous ne pouvons qu’encourager tous les usagers du TEC à se montrer très vigilants. Le moment arrivera bientôt où l’avenir de toutes les lignes TEC de votre région sera, comme à Sombreffe, remis en question. Le bus passera-t-il toujours demain ou après-demain par ce village que vous habitez ? Devrez-vous désormais prendre une correspondance pour aller à l’école, au marché ou à la gare ?
Pour être certains que cela ne vous arrive, tenez-vous informés. Parlez-en à votre bourgmestre, à vos échevins, au service mobilité de votre commune. Mobilisez-vous, rassemblez-vous et faites entendre votre voix avant qu’il ne soit trop tard.
Il n’y a hélas, selon nous, aucune autre solution.